ENS Ulm - 28 mars 2006
Volonté de répétition et pouvoir politique
" On peut concevoir une structure non métaphysique de la duplication, qui aboutit au contraire à enrichir le présent de toutes les potentialités, tant futures que passées. C’est le thème, à la fois stoïcien et nietzschéen, du retour éternel, qui vient paradoxalement combler le présent de tous les biens dont le prive la duplication métaphysique. "(Le réel et son double p.81).
Je partirais de cette contre-proposition de Rosset qui montre dans un de ses ouvrages clé quels dangers résident dans les illusions métaphysiques, naturalistes ou encore phénoménologiques. Pourquoi partir de ce double proprement à Rosset ? Car je pense que la théorie du double a un double effet :
- démystificateur : il s’agit pour Rosset, dans le sillage de Nietzsche, Marx ou Freud, de récuser l’ensemble des perversions et des dangers produits par les constructions intellectuelles qui font écrans : il s’agit à proprement parler de démasquer le concept dans sa prétention à remplacer le réel.
- Provocateur : il cherche à restituer l’idiotie du réel, son hasard constitutif en essayant de donner à penser un redoublement instantané. La provocation vient notamment d’un usage à effet de retour détourné des exemples qui est peut-être cette structure de duplication dont parle Rosset à la page 81 de son best-seller.
Pour saisir la puissance philosophique de Rosset, il faut s’interroger sur la méthode qu’il utilise pour s’installer dans le réel, pour l’accepter et en jouir pleinement. Car une chose est de condamner les doubles philosophiques, une autre est de trouver une structure de duplication qui permette de ne pas sombrer dans les illusions pratiques du double. Car les illusions dénoncées par Rosset dans le Réel et son double ont des conséquences pratiques évidentes : le cas d’Oedipe est encore une fois exemplaire. La duplication est certainement une nécessité et on ne peut pas en faire l’économie, comme le montre l’entreprise de Clément Rosset qui a passé la plus grande partie de sa vie à traiter des doubles, à les condenser, à les réduire. Comme le dirait Spinoza, même après avoir découvert les illusions du double, on ne saurait retomber irrémédiablement dans l’illusion. Le travail de l’imagination montre les limites de l’imagination, limites dont on ne saurait s’affranchir.
Rosset ne peut pas oublier ces textes de Spinoza lorsqu’il parle du double et ne peut se contenter de lui opposer la simple tautologie, miracle issu du principe d’identité et qui ne ferait de son œuvre qu’un miroir transparent du monde dans lequel nous vivons. Le travail de l’écriture le contraint en permanence de justifier de manière implicite l’inconséquence qu’auraient ses thèses s’il fallait les prendre au pied de la lettre. Ainsi ses rapports au politique sont problématiques car ils le contraignent à combiner son acceptation sans limites du réel avec un problème de taille : la présence peut-être embarrassante des mauvais double, de ces idéologies qui oublient le réel pour s’ériger au statut de principe, de source ultime du droit – la critique de l’école du droit naturel est par ailleurs une des dimensions de la démystification marxiste.
On peut rapprocher la démystification de Rosset du projet de Marx révélé dans l’Idéologie allemande qui met en avant les dangers d’une autonomie du double idéologique :
« L’idéologie est une production de la pensée abstraite détachée de ses conditions. L’idéologie est le fait d’une pensée qui se pose illégitimement en source absolue du sens; l’expression d’une pensée oublieuse de ses assises pratiques; d’une pensée qui s’abstrait du processus de la pratique pour s’ériger en fondement des actes de signification. » Bien sûr, Rosset ne souscrirait pas au processus de la pratique tel que l’entend Marx mais il peut être intéressant de trouver dans la pensée de notre auteur un analogue de cette pratique qui permettrait de comprendre et de saisir la portée politique, s’il y en a une, de son œuvre. Car Rosset critique finalement moins le double comme redondance de réel que le double autonomisé et oublieux de la réalité qu’il prétend désormais fonder. Détecter un double est ainsi provoquer sa prochaine disparition, en le dissolvant dans une entreprise permanente de duplication. Il essaye de saisir le double dans sa genèse pour essayer d’en détourner l’usage, d’en rendre les conséquences heureuses.
La question qu’on peut légitimement se poser devant une théorie du double est ainsi la suivante : y a-t-il dans l’œuvre de Rosset un impensé du politique qui se traduirait par la volonté affichée de renier à la politique toute emprise sur le réel ? Répondre par l’affirmative nous obligerait à voir dans la théorie rossetienne une sorte de christianisme inavoué puisque ce monde serait accepté après une conversion du regard dont la portée morale interdirait d’accomplir en ce monde une action sensée. Certes cela ne se ferait pas au nom d’un autre monde mais au nom de l’acceptation du monde tel qu’il est – mais tout accepter, n’est-ce pas rendre à César ce qui appartient à César, autrement dit tout ? Répondre par la négative nous inviterait à se pencher de nouveau sur les textes clés de Rosset en mettant en avant le fait que ne pas penser un objet ne signifie pas en renier l’existence et la teneur propre. De même que des commentateurs de Wittgenstein qui se penchent sur ses thèses éthiques et métaphysiques en interprétant ses silences, abordons celles de notre cher philosophe.
Nous examinerons l’histoire remaniée de la philosophie qu’il propose dans l’Anti-nature, ouvrage dans lequel il expose sa théorie de l’artifice que nous présenterons brièvement pour éclairer les enjeux des lectures qu’il fait du père de la philosophie politique modernes Machiavel (avec pour arrière fond la réhabilitation des Sophistes et de Balthasar Gracian). Il faut comprendre le projet de Rosset dans une perspective nietzschéenne, en imaginant ce que pourrait être une critique de l’idée de nature qui aboutirait non pas au nihilisme ou au relativisme généralisé mais à une pensée de l’artifice comme accompagnement continu du devenir qui se fait par une nécessaire duplication du réel. Comme Rosset nous l’indique dans Le réel et son double il s’agit pour lui d’ « enrichir le présent de toutes les potentialités, tant futures que passées ». Cet enrichissement passe bien entendu par une critique radicale de l’idée de nature qui pour lui fige la pensée du devenir et interdit de penser l’identité du réel et de l’artificiel. Après avoir répertorié dans une première partie « le monde comme nature » les figures de la nature autonomisée et hypostasiée, Rosset s’engage dans un processus de désapprentissage qu’il décrit ainsi au début de la deuxième parte intitulée, par antithèse à la première, « le monde comme artifice » :
« Considérer le monde indépendamment de l’idée de nature revient à généraliser une expérience de désapprentissage » dont le produit est une émotion devant l’universalité de l’artifice. Or cette pensée de l’artifice comme pur hasard provoquant la surprise et l’étonnement devant l’absence de tous référents « naturalistes » (principes, lois, causes) se heurte à une première objection p. 58:
« Qu’en est-il, se demande-t-on des lois, des généralités, de toutes les fréquences régulières qu’on rencontre à chaque pas dans un domaine qu’il faut bien appeler « nature » pour le différencier des lois instituées par l’industrie de hommes ? »
Les réponses à cette objection qu’il se fait à lui-même apportent un éclairage certain sur la conception qu’il peut avoir de la politique car elles définissent un certain champ d’action propre à « l’industrie des hommes » :
-première réponse : la pensée artificialiste nie simplement « l’appartenance à une nature des lois naturelles ». L’idée de nature interdirait en fin de compte une réelle compréhension des phénomènes naturels car ils seraient renvoyés à des causes invisibles. La critique de l’idéologie naturaliste ne signifie pas pour autant l’abandon d’un certain naturel propre à l’activité humaine. Le naturel du héros jouera un rôle important dans la saisie du moment opportun. On peut rapprocher cette théorie du naturel de la lecture que fait Rosset de Balthasar Gracian :
chapitre VI : livre Le Héros « le héros est ce chevalier sans peur et sans reproche qui prête à l’apparence un crédit illimité » Le héros est celui qui sait combiner les apparences et la l’occasion (Kairos). Le héros est un homme de maîtrise : des apparences, des circonstances et de la mobilité. « L’art de saisir » les occasions nécessite un certain naturel, une intuition qui permet au héros de saisir dans une apparence hasardeuse ce qu’il peut y avoir de succès.
Il prend pour paradigme le jeu de cartes : « savoir écarter les mauvaises cartes quand il le faut, et à jouer la bonne carte au bon moment. ». La vertu du héros est donc l’attente qui est une capacité à différer son plaisir immédiat car selon Gracian, « chez les hommes dont le cœur est petit, il n’est de place ni pour le temps, ni pour le secret. » Cette conception pose plusieurs problèmes relevés par Rosset : quel est le critère de la bonne occasion ? Quel est le statut de ces règles de conduites fixées dans des manuels : sont-elles des règles du jeu précédent la partie ?
Sur le premier point, Rosset congédie avec Gracian tout préoccupation de morale (pas de nature transcendant le jeu des artifices) Art du héros est une économie des malheurs :il faut savoir détourner les malheurs sur Autrui : cf . Machiavel : Ramiro d’Orco en Romagne envoyé par César Borgia pour rétablir l’ordre, livré ensuite en pâture à la vindicte publique ( chap.VII)
Sur le second point : l’affection et le calcul sont deux erreurs qu’il faut éviter pour ne pas sombrer dans le naturalisme.
La refus de l’affectation pose la naturalisation et l’innocence de l’artifice : on aboutit à une immédiateté et naïveté du héros devant sa conduite
Le calcul est un risque majeur : la prévision de l’esprit empêche de se rendre attentif à l’occasion présente : un certain naturel du héros permet donc de na pas tomber dans le piège naturaliste. La pratique de l’artifice suggère une « nature délivrée » capable d’être appréhendée avec désinvolture et « naturel ».
-deuxième réponse : les lois naturelles sont en fait « analogues » aux « lois artificielles ». C’est sur cette analogie que réside d’ailleurs la possibilité d’une action humaine comme la possibilité d’un phénomène naturel car ces deux types de lois ont un principe commun, un foyer autour duquel tous les sceptiques peuvent venir réchauffer leurs mains refroidies par des expéditions hasardeuses aux confins de la pensée humaine : la convenance. Cette convenance provient de l’œuvre de Lucrèce qui définit l’Être du devenir par l’addition du hasard et du succès. Cette convenance permet de comprendre sur quoi repose l’acceptation rossetienne du réel : non pas sur un résignation à n’importe quel réel mais sur la possibilité d’un foyer commun de sélection de l’Etre qui permet de réconcilier nature et culture en évitant phénomène et on peut donc en conclure que les phénomènes politiques ne sont pas le fruit d’un pur hasard mais qu’il nécessite une certaine combinaison qui relève certainement de l’art politique.
« Il suffit de concevoir le hasard comme générateur d’innombrable tentatives, et l’existence comme le résultat de certaines de ces tentatives : fruit de la convenance et du hasard.»
Il peut donc conclure :
« Exister, pour un phénomène physique ou biologique, c’est s’inscrire dans un processus répétable ; pour une loi juridique, c’est pouvoir s’appliquer à un nombre indéterminé de cas ; pour une œuvre esthétique, c’est être exécutée, reproduite, bref répétée . »
Il y a donc un bon usage du double entendu non plus comme copie autonome et fantasmagorique mais comme processus continue d’apparition du hasard. Reconnaître la facticité dans une loi, le hasard dans la répétition est ce qui fournit à l’homme son bonheur, qu’il peut d’ailleurs retrouver en pensant que les régularités naturelles ne vont pas sans une coexistence des possibles hasards qui ne sont pas advenus fautes d’avoir bénéficié de la réussite. Il est apparu dans la discussion suivant cet exposé que ces compossibles étaient peut-être le lieu des pensées révolutionnaires. On a été amené à distinguer deux types d’acception du mot révolutionnaire dans la pensée de Rosset. Le révolutionnaire exalté qui pense pouvoir renverser immédiatement l’ordre politique au nom d’une certaine idée du bonheur social. Le révolutionnaire conservateur qui a conscience de la part de hasard constitutive du pouvoir politique. Rosset nous permet d’avoir des pensées révolutionnaires qui soient adéquates au réel parce que tempérées par la convenance nécessaire à leur réussite.
Le champ politique est donc la superposition d’une duplication permanente d’un même hasard renouvelé parce qu’il « convient » à une situation donnée et d’une multiplicité de hasards collatéraux qui sont tous candidats, prêts à profiter de la situation pour accéder au rang de régularités productrice du « bonheur social » selon Rosset.
Loin d’éliminer la possibilité de modifier le réel en arguant de sa facticité pure et imperturbable, cette théorie de la convenance permet de penser l’action possible et engage toute la responsabilité de ceux qui sont en mesures de réaliser la synthèse entre un hasard et un succès – ou du moins qui puissent rendre l’opinion générale par leur propre sélection des opinions hasardeuses convenable au succès d’une nouvelle loi.
Or qui est-ce qui fixe le critère de réussite ou qui décide de la convenance d’un hasard avec une situation donnée si ce n’est le marteau de la répétition qui sanctionne imperturbablement les différents hasards qui se présentent à lui ? Pouvons-nous faire nous même l’expérience de cet artificielle duplication et la reproduire à l’échelle sociale pour produire des lois favorables au bonheur social ?
Rosset après avoir dégagé les conditions de possibilités des « lois artificielles » mettant en avant une synthèse fondatrice et en même temps fondée par ces propres éléments (le hasard et le succès) esquisse les critères permettant de s’orienter dans l’histoire de la philosophie. Plusieurs moments se distinguent par leur très haut coefficient d’artificialité permettant la mise à l’eau des pensées les plus anti-naturalistes. Dans le chapitre III « Esthétique de l’artifice », il annonce dans une section intitulée « pratique artificialiste » les grandes figures de sa nouvelle histoire de la philosophie. La pratique artificialiste se distingue des pratiques pseudo-artificialistes à la Mallarmé par sa capacité à se contenter du réel et uniquement de lui dans la mesure où il a été totalement innocenté, comme avait pu être innocenté le devenir par la pensée de l’Eternel Retour. L’homme du XVII° siècle est conforme à cette esthétique artificialiste car il est convaincu que la nature n’existe pas. Des hommes, comme Bacon, Hobbes, Gracian et Pascal (Descartes annonçant le retour de la pensée naturaliste) sont les héritiers du siècle précédent qui de Machiavel à Montaigne à sanctifier le devenir en le soustrayant au naturalisme aristotélicien. Cette émergence historique de la pensée artificialiste nous fait penser qu’une période peut être plus ou moins ouverte à l’artifice et qu’il existe donc des possibilités d’ouvrir le champ des possibles en procédant notamment à une entreprise sceptique écartant le risque de naturalisation planant autour de toute décision politique.
Machiavel devient ainsi le penseur d’un artificialisme politique, condition du scepticisme de Montaigne. En effet, le problème qui est selon Rosset au cœur du Prince est celui du temps qui est dans le droit file des considérations qu’il a pu avoir sur la notion de régularités humaines. Machiavel s’avère être une solution au problème de la viabilité d’une lois humaines car il permet de penser la tâche propre de la politique : « réussir à faire durer un état de choses constitutionnellement provisoire, mouvant et fragile. »
Rosset distingue l’état politique par sa capacité à durer en l’opposant certainement au caractère à jamais changeant de la psychologie sociale. Faire durer : « c’est là, en bref, tout le problème politique, qui consiste à transformer le circonstanciel en régulier, à fabriquer de la permanence avec du mobile. » Deux tâches en découlent :
-apprivoiser le temps : c'est-à-dire le transformer en durée proprement politique par un acte de répétition. On passe d’une conception aliénante d’un temps cosmique et nécessitant à celui proprement humain de la durée qui est le fruit de la répétition d’un même geste comme la présence permanente des CRS qui institue une durée politique particulière, celle de la volonté politique du gouvernement. Car créer de la durée est un enrichissement du présent car elle donne à l’éphémère d’une décision, ici celle d’un gouvernement, le caractère de la durée en faisant appel à la continuité de la loi dont la matière se manifeste pour le moment par une présence policière. La lutte politique devient dès lors une lutte pour l’appropriation de la durée, à celui dont la volonté de durer sera la plus forte sera reconnu le droit de dire quelle est la loi.
-priver les sujets du temps nécessaire à la constitution d’une durée : cas concret, en les invitant à préparer leur examen au lieu de faire advenir un nouvelle opportunité, celle du retrait d’une certaine loi. Cet exposé s’est déroulé pendant le bref « malentendu » qui a agité la France.
La durée devient ainsi le critère permettant de mesurer l’efficacité d’une opportunité par la répétition. Mais toutes les durées sont-elles bonnes à prendre et quel est le statut de l’exception qui permet d’entrevoir un autre pouvoir possible ? La discussion nous a amené à insister sur la portée essentiellement descriptive de cette conception du pouvoir politique. On peut aussi dire que cette capacité à rester au pouvoir n’est pas neutre dans ses moyens car il faut distinguer cette volonté de répétition et de durée des entreprises idéologiques qui ne sont pas politiques mais « métaphysiques » et dangereusement « duplicantes » et aliénantes.
Elle est à elle-même son propre critère car l’homme n’a pas de nature qui lui soit propre et qui permettrait de juger de ses actions.
La manière d’imposer la durée est la violence qui est un excès de force momentané que le Prince va devoir gérer dans la durée. La force continue permet au prince de se maintenir en forçant la nature de l’homme : l’artifice provient de ce caractère démiurgique du prince qui doit forcer ces sujets à adopter son point de vue : obtenir une nature permanente de l’homme à partir de son étoffe propre, l’instabilité étant le fond sur lequel s’appuie le pouvoir politique.
Conclusion schématique :
Un bon critère pour dégager la clé du succès politique, une pensée de l’alternative, une puissance de démystification de la pensée de Rosset et le rôle de l’artifice comme duplication d’un faire. Cf. Nietzsche et l’éternel retour : pensée de la volonté de dupliquer qui est au cœur de la pensée de Rosset (rendre le présent riche de ses possibilités passées et futures, certaine interprétation de l’éternel retour) : caractère sélectif et innocence car « seule l’innocence du devenir nous donne le maximum de courage et le maximum de liberté » cf. le héros.
Problème des valeurs et de la morale qui reste selon moi suspens car il nous a donné les moyens de penser l’action politique mais il refuse systématiquement toute valeur morale (la duplication en serait une ?) « Voici mes ennemis : ceux qui veulent tout renverser et ne pas construire eux-mêmes. Ils disent : « tout cela est sans valeur » et refusent de créer des valeurs. »
" On peut concevoir une structure non métaphysique de la duplication, qui aboutit au contraire à enrichir le présent de toutes les potentialités, tant futures que passées. C’est le thème, à la fois stoïcien et nietzschéen, du retour éternel, qui vient paradoxalement combler le présent de tous les biens dont le prive la duplication métaphysique. "(Le réel et son double p.81).
Je partirais de cette contre-proposition de Rosset qui montre dans un de ses ouvrages clé quels dangers résident dans les illusions métaphysiques, naturalistes ou encore phénoménologiques. Pourquoi partir de ce double proprement à Rosset ? Car je pense que la théorie du double a un double effet :
- démystificateur : il s’agit pour Rosset, dans le sillage de Nietzsche, Marx ou Freud, de récuser l’ensemble des perversions et des dangers produits par les constructions intellectuelles qui font écrans : il s’agit à proprement parler de démasquer le concept dans sa prétention à remplacer le réel.
- Provocateur : il cherche à restituer l’idiotie du réel, son hasard constitutif en essayant de donner à penser un redoublement instantané. La provocation vient notamment d’un usage à effet de retour détourné des exemples qui est peut-être cette structure de duplication dont parle Rosset à la page 81 de son best-seller.
Pour saisir la puissance philosophique de Rosset, il faut s’interroger sur la méthode qu’il utilise pour s’installer dans le réel, pour l’accepter et en jouir pleinement. Car une chose est de condamner les doubles philosophiques, une autre est de trouver une structure de duplication qui permette de ne pas sombrer dans les illusions pratiques du double. Car les illusions dénoncées par Rosset dans le Réel et son double ont des conséquences pratiques évidentes : le cas d’Oedipe est encore une fois exemplaire. La duplication est certainement une nécessité et on ne peut pas en faire l’économie, comme le montre l’entreprise de Clément Rosset qui a passé la plus grande partie de sa vie à traiter des doubles, à les condenser, à les réduire. Comme le dirait Spinoza, même après avoir découvert les illusions du double, on ne saurait retomber irrémédiablement dans l’illusion. Le travail de l’imagination montre les limites de l’imagination, limites dont on ne saurait s’affranchir.
Rosset ne peut pas oublier ces textes de Spinoza lorsqu’il parle du double et ne peut se contenter de lui opposer la simple tautologie, miracle issu du principe d’identité et qui ne ferait de son œuvre qu’un miroir transparent du monde dans lequel nous vivons. Le travail de l’écriture le contraint en permanence de justifier de manière implicite l’inconséquence qu’auraient ses thèses s’il fallait les prendre au pied de la lettre. Ainsi ses rapports au politique sont problématiques car ils le contraignent à combiner son acceptation sans limites du réel avec un problème de taille : la présence peut-être embarrassante des mauvais double, de ces idéologies qui oublient le réel pour s’ériger au statut de principe, de source ultime du droit – la critique de l’école du droit naturel est par ailleurs une des dimensions de la démystification marxiste.
On peut rapprocher la démystification de Rosset du projet de Marx révélé dans l’Idéologie allemande qui met en avant les dangers d’une autonomie du double idéologique :
« L’idéologie est une production de la pensée abstraite détachée de ses conditions. L’idéologie est le fait d’une pensée qui se pose illégitimement en source absolue du sens; l’expression d’une pensée oublieuse de ses assises pratiques; d’une pensée qui s’abstrait du processus de la pratique pour s’ériger en fondement des actes de signification. » Bien sûr, Rosset ne souscrirait pas au processus de la pratique tel que l’entend Marx mais il peut être intéressant de trouver dans la pensée de notre auteur un analogue de cette pratique qui permettrait de comprendre et de saisir la portée politique, s’il y en a une, de son œuvre. Car Rosset critique finalement moins le double comme redondance de réel que le double autonomisé et oublieux de la réalité qu’il prétend désormais fonder. Détecter un double est ainsi provoquer sa prochaine disparition, en le dissolvant dans une entreprise permanente de duplication. Il essaye de saisir le double dans sa genèse pour essayer d’en détourner l’usage, d’en rendre les conséquences heureuses.
La question qu’on peut légitimement se poser devant une théorie du double est ainsi la suivante : y a-t-il dans l’œuvre de Rosset un impensé du politique qui se traduirait par la volonté affichée de renier à la politique toute emprise sur le réel ? Répondre par l’affirmative nous obligerait à voir dans la théorie rossetienne une sorte de christianisme inavoué puisque ce monde serait accepté après une conversion du regard dont la portée morale interdirait d’accomplir en ce monde une action sensée. Certes cela ne se ferait pas au nom d’un autre monde mais au nom de l’acceptation du monde tel qu’il est – mais tout accepter, n’est-ce pas rendre à César ce qui appartient à César, autrement dit tout ? Répondre par la négative nous inviterait à se pencher de nouveau sur les textes clés de Rosset en mettant en avant le fait que ne pas penser un objet ne signifie pas en renier l’existence et la teneur propre. De même que des commentateurs de Wittgenstein qui se penchent sur ses thèses éthiques et métaphysiques en interprétant ses silences, abordons celles de notre cher philosophe.
Nous examinerons l’histoire remaniée de la philosophie qu’il propose dans l’Anti-nature, ouvrage dans lequel il expose sa théorie de l’artifice que nous présenterons brièvement pour éclairer les enjeux des lectures qu’il fait du père de la philosophie politique modernes Machiavel (avec pour arrière fond la réhabilitation des Sophistes et de Balthasar Gracian). Il faut comprendre le projet de Rosset dans une perspective nietzschéenne, en imaginant ce que pourrait être une critique de l’idée de nature qui aboutirait non pas au nihilisme ou au relativisme généralisé mais à une pensée de l’artifice comme accompagnement continu du devenir qui se fait par une nécessaire duplication du réel. Comme Rosset nous l’indique dans Le réel et son double il s’agit pour lui d’ « enrichir le présent de toutes les potentialités, tant futures que passées ». Cet enrichissement passe bien entendu par une critique radicale de l’idée de nature qui pour lui fige la pensée du devenir et interdit de penser l’identité du réel et de l’artificiel. Après avoir répertorié dans une première partie « le monde comme nature » les figures de la nature autonomisée et hypostasiée, Rosset s’engage dans un processus de désapprentissage qu’il décrit ainsi au début de la deuxième parte intitulée, par antithèse à la première, « le monde comme artifice » :
« Considérer le monde indépendamment de l’idée de nature revient à généraliser une expérience de désapprentissage » dont le produit est une émotion devant l’universalité de l’artifice. Or cette pensée de l’artifice comme pur hasard provoquant la surprise et l’étonnement devant l’absence de tous référents « naturalistes » (principes, lois, causes) se heurte à une première objection p. 58:
« Qu’en est-il, se demande-t-on des lois, des généralités, de toutes les fréquences régulières qu’on rencontre à chaque pas dans un domaine qu’il faut bien appeler « nature » pour le différencier des lois instituées par l’industrie de hommes ? »
Les réponses à cette objection qu’il se fait à lui-même apportent un éclairage certain sur la conception qu’il peut avoir de la politique car elles définissent un certain champ d’action propre à « l’industrie des hommes » :
-première réponse : la pensée artificialiste nie simplement « l’appartenance à une nature des lois naturelles ». L’idée de nature interdirait en fin de compte une réelle compréhension des phénomènes naturels car ils seraient renvoyés à des causes invisibles. La critique de l’idéologie naturaliste ne signifie pas pour autant l’abandon d’un certain naturel propre à l’activité humaine. Le naturel du héros jouera un rôle important dans la saisie du moment opportun. On peut rapprocher cette théorie du naturel de la lecture que fait Rosset de Balthasar Gracian :
chapitre VI : livre Le Héros « le héros est ce chevalier sans peur et sans reproche qui prête à l’apparence un crédit illimité » Le héros est celui qui sait combiner les apparences et la l’occasion (Kairos). Le héros est un homme de maîtrise : des apparences, des circonstances et de la mobilité. « L’art de saisir » les occasions nécessite un certain naturel, une intuition qui permet au héros de saisir dans une apparence hasardeuse ce qu’il peut y avoir de succès.
Il prend pour paradigme le jeu de cartes : « savoir écarter les mauvaises cartes quand il le faut, et à jouer la bonne carte au bon moment. ». La vertu du héros est donc l’attente qui est une capacité à différer son plaisir immédiat car selon Gracian, « chez les hommes dont le cœur est petit, il n’est de place ni pour le temps, ni pour le secret. » Cette conception pose plusieurs problèmes relevés par Rosset : quel est le critère de la bonne occasion ? Quel est le statut de ces règles de conduites fixées dans des manuels : sont-elles des règles du jeu précédent la partie ?
Sur le premier point, Rosset congédie avec Gracian tout préoccupation de morale (pas de nature transcendant le jeu des artifices) Art du héros est une économie des malheurs :il faut savoir détourner les malheurs sur Autrui : cf . Machiavel : Ramiro d’Orco en Romagne envoyé par César Borgia pour rétablir l’ordre, livré ensuite en pâture à la vindicte publique ( chap.VII)
Sur le second point : l’affection et le calcul sont deux erreurs qu’il faut éviter pour ne pas sombrer dans le naturalisme.
La refus de l’affectation pose la naturalisation et l’innocence de l’artifice : on aboutit à une immédiateté et naïveté du héros devant sa conduite
Le calcul est un risque majeur : la prévision de l’esprit empêche de se rendre attentif à l’occasion présente : un certain naturel du héros permet donc de na pas tomber dans le piège naturaliste. La pratique de l’artifice suggère une « nature délivrée » capable d’être appréhendée avec désinvolture et « naturel ».
-deuxième réponse : les lois naturelles sont en fait « analogues » aux « lois artificielles ». C’est sur cette analogie que réside d’ailleurs la possibilité d’une action humaine comme la possibilité d’un phénomène naturel car ces deux types de lois ont un principe commun, un foyer autour duquel tous les sceptiques peuvent venir réchauffer leurs mains refroidies par des expéditions hasardeuses aux confins de la pensée humaine : la convenance. Cette convenance provient de l’œuvre de Lucrèce qui définit l’Être du devenir par l’addition du hasard et du succès. Cette convenance permet de comprendre sur quoi repose l’acceptation rossetienne du réel : non pas sur un résignation à n’importe quel réel mais sur la possibilité d’un foyer commun de sélection de l’Etre qui permet de réconcilier nature et culture en évitant phénomène et on peut donc en conclure que les phénomènes politiques ne sont pas le fruit d’un pur hasard mais qu’il nécessite une certaine combinaison qui relève certainement de l’art politique.
« Il suffit de concevoir le hasard comme générateur d’innombrable tentatives, et l’existence comme le résultat de certaines de ces tentatives : fruit de la convenance et du hasard.»
Il peut donc conclure :
« Exister, pour un phénomène physique ou biologique, c’est s’inscrire dans un processus répétable ; pour une loi juridique, c’est pouvoir s’appliquer à un nombre indéterminé de cas ; pour une œuvre esthétique, c’est être exécutée, reproduite, bref répétée . »
Il y a donc un bon usage du double entendu non plus comme copie autonome et fantasmagorique mais comme processus continue d’apparition du hasard. Reconnaître la facticité dans une loi, le hasard dans la répétition est ce qui fournit à l’homme son bonheur, qu’il peut d’ailleurs retrouver en pensant que les régularités naturelles ne vont pas sans une coexistence des possibles hasards qui ne sont pas advenus fautes d’avoir bénéficié de la réussite. Il est apparu dans la discussion suivant cet exposé que ces compossibles étaient peut-être le lieu des pensées révolutionnaires. On a été amené à distinguer deux types d’acception du mot révolutionnaire dans la pensée de Rosset. Le révolutionnaire exalté qui pense pouvoir renverser immédiatement l’ordre politique au nom d’une certaine idée du bonheur social. Le révolutionnaire conservateur qui a conscience de la part de hasard constitutive du pouvoir politique. Rosset nous permet d’avoir des pensées révolutionnaires qui soient adéquates au réel parce que tempérées par la convenance nécessaire à leur réussite.
Le champ politique est donc la superposition d’une duplication permanente d’un même hasard renouvelé parce qu’il « convient » à une situation donnée et d’une multiplicité de hasards collatéraux qui sont tous candidats, prêts à profiter de la situation pour accéder au rang de régularités productrice du « bonheur social » selon Rosset.
Loin d’éliminer la possibilité de modifier le réel en arguant de sa facticité pure et imperturbable, cette théorie de la convenance permet de penser l’action possible et engage toute la responsabilité de ceux qui sont en mesures de réaliser la synthèse entre un hasard et un succès – ou du moins qui puissent rendre l’opinion générale par leur propre sélection des opinions hasardeuses convenable au succès d’une nouvelle loi.
Or qui est-ce qui fixe le critère de réussite ou qui décide de la convenance d’un hasard avec une situation donnée si ce n’est le marteau de la répétition qui sanctionne imperturbablement les différents hasards qui se présentent à lui ? Pouvons-nous faire nous même l’expérience de cet artificielle duplication et la reproduire à l’échelle sociale pour produire des lois favorables au bonheur social ?
Rosset après avoir dégagé les conditions de possibilités des « lois artificielles » mettant en avant une synthèse fondatrice et en même temps fondée par ces propres éléments (le hasard et le succès) esquisse les critères permettant de s’orienter dans l’histoire de la philosophie. Plusieurs moments se distinguent par leur très haut coefficient d’artificialité permettant la mise à l’eau des pensées les plus anti-naturalistes. Dans le chapitre III « Esthétique de l’artifice », il annonce dans une section intitulée « pratique artificialiste » les grandes figures de sa nouvelle histoire de la philosophie. La pratique artificialiste se distingue des pratiques pseudo-artificialistes à la Mallarmé par sa capacité à se contenter du réel et uniquement de lui dans la mesure où il a été totalement innocenté, comme avait pu être innocenté le devenir par la pensée de l’Eternel Retour. L’homme du XVII° siècle est conforme à cette esthétique artificialiste car il est convaincu que la nature n’existe pas. Des hommes, comme Bacon, Hobbes, Gracian et Pascal (Descartes annonçant le retour de la pensée naturaliste) sont les héritiers du siècle précédent qui de Machiavel à Montaigne à sanctifier le devenir en le soustrayant au naturalisme aristotélicien. Cette émergence historique de la pensée artificialiste nous fait penser qu’une période peut être plus ou moins ouverte à l’artifice et qu’il existe donc des possibilités d’ouvrir le champ des possibles en procédant notamment à une entreprise sceptique écartant le risque de naturalisation planant autour de toute décision politique.
Machiavel devient ainsi le penseur d’un artificialisme politique, condition du scepticisme de Montaigne. En effet, le problème qui est selon Rosset au cœur du Prince est celui du temps qui est dans le droit file des considérations qu’il a pu avoir sur la notion de régularités humaines. Machiavel s’avère être une solution au problème de la viabilité d’une lois humaines car il permet de penser la tâche propre de la politique : « réussir à faire durer un état de choses constitutionnellement provisoire, mouvant et fragile. »
Rosset distingue l’état politique par sa capacité à durer en l’opposant certainement au caractère à jamais changeant de la psychologie sociale. Faire durer : « c’est là, en bref, tout le problème politique, qui consiste à transformer le circonstanciel en régulier, à fabriquer de la permanence avec du mobile. » Deux tâches en découlent :
-apprivoiser le temps : c'est-à-dire le transformer en durée proprement politique par un acte de répétition. On passe d’une conception aliénante d’un temps cosmique et nécessitant à celui proprement humain de la durée qui est le fruit de la répétition d’un même geste comme la présence permanente des CRS qui institue une durée politique particulière, celle de la volonté politique du gouvernement. Car créer de la durée est un enrichissement du présent car elle donne à l’éphémère d’une décision, ici celle d’un gouvernement, le caractère de la durée en faisant appel à la continuité de la loi dont la matière se manifeste pour le moment par une présence policière. La lutte politique devient dès lors une lutte pour l’appropriation de la durée, à celui dont la volonté de durer sera la plus forte sera reconnu le droit de dire quelle est la loi.
-priver les sujets du temps nécessaire à la constitution d’une durée : cas concret, en les invitant à préparer leur examen au lieu de faire advenir un nouvelle opportunité, celle du retrait d’une certaine loi. Cet exposé s’est déroulé pendant le bref « malentendu » qui a agité la France.
La durée devient ainsi le critère permettant de mesurer l’efficacité d’une opportunité par la répétition. Mais toutes les durées sont-elles bonnes à prendre et quel est le statut de l’exception qui permet d’entrevoir un autre pouvoir possible ? La discussion nous a amené à insister sur la portée essentiellement descriptive de cette conception du pouvoir politique. On peut aussi dire que cette capacité à rester au pouvoir n’est pas neutre dans ses moyens car il faut distinguer cette volonté de répétition et de durée des entreprises idéologiques qui ne sont pas politiques mais « métaphysiques » et dangereusement « duplicantes » et aliénantes.
Elle est à elle-même son propre critère car l’homme n’a pas de nature qui lui soit propre et qui permettrait de juger de ses actions.
La manière d’imposer la durée est la violence qui est un excès de force momentané que le Prince va devoir gérer dans la durée. La force continue permet au prince de se maintenir en forçant la nature de l’homme : l’artifice provient de ce caractère démiurgique du prince qui doit forcer ces sujets à adopter son point de vue : obtenir une nature permanente de l’homme à partir de son étoffe propre, l’instabilité étant le fond sur lequel s’appuie le pouvoir politique.
Conclusion schématique :
Un bon critère pour dégager la clé du succès politique, une pensée de l’alternative, une puissance de démystification de la pensée de Rosset et le rôle de l’artifice comme duplication d’un faire. Cf. Nietzsche et l’éternel retour : pensée de la volonté de dupliquer qui est au cœur de la pensée de Rosset (rendre le présent riche de ses possibilités passées et futures, certaine interprétation de l’éternel retour) : caractère sélectif et innocence car « seule l’innocence du devenir nous donne le maximum de courage et le maximum de liberté » cf. le héros.
Problème des valeurs et de la morale qui reste selon moi suspens car il nous a donné les moyens de penser l’action politique mais il refuse systématiquement toute valeur morale (la duplication en serait une ?) « Voici mes ennemis : ceux qui veulent tout renverser et ne pas construire eux-mêmes. Ils disent : « tout cela est sans valeur » et refusent de créer des valeurs. »
Où l'on voit qu'on peut ne pas faire de politique et posséder une ligne politique disons démystificatrice.
RépondreSupprimerParenthèse : Rosset a connu le terrorisme intellectuel des années 60-70, notamment à Ulm. EN CE TEMPS-LA relate sa rencontre d'Althusser. Superbe opuscule et réflexion profonde sur le cas Althusser (au sens d'un cas Nietzsche), alliance grotesque de la plus extrême lucidité et de la plus grande folie. En marge, deux portraits : Lacan en gourou (!) et Joseph Hours en profeseur lucide par excellence.
Petite question : Rosset a publié sous deux pseudonymes, dont l'un fort balzacien, PRECIS DE PHILOSOPHIE MODERNE et LES MATINEES STRUCTURALISTES, dont je sais qu'elles contiennent un pastiche hilarant de la differance de Derrida en l'écritHure (!). Disposeriez vous de ces oeuvres épuisées, que je ne parviens à me procurer?
RépondreSupprimerMerci d'avance!
- je possède Les Matinées structuralistes (pseudo Roger Crémant) - très drôle et assez fin parfois - mais je n'ai toujours pas réussi à mettre la main sur le Précis (Roboald Marcas)
RépondreSupprimer- En ce temps-là est également un opuscule intéressant et assez touchant, bien que je n'aie jamais lu une ligne d'Althusser. Je peux vous assurer que le terrorisme intellectuel a la dent dure à Ulm...
Si d'aventure vous êtes prêt à m'en faire une copie ou si vous disposez d'un exemplaire d'occasion, faites-le moi savoir, je vous ferais parvenir la somme nécessaire et vous en serais très reconnaissant...
RépondreSupprimerMerci d'avance.
A mettre en lien avec le début du Philosophe et les sortilèges où Rosset rappelle l'absence de fondements "naturels" du pouvoir et le profond ressentimemnt qui anime la critique politique des années 70, en gros les cercles de l'extrême-gauche caviar, Foucault, Deleuze & Cie, très forts pour rappelr ce que le pouvoir ne devait pas être - jamais pour énoncer positivement ce que ce fameux pouvoir devait faire pour changer.
RépondreSupprimerLes choses ont-elles tant changé?
Les Remarques sur le pouvoir du Philosophe et les sortilèges sont en effet précieuses et ont alimenté la discussion qui a suivi l'exposé de Félix. La politique de Rosset est selon moi - moins optimiste que mon ami Félix - un puissant corrosif qui nous débarrasse des anti-idéologies idéologiques (cf. à ce propos Logique du pire) mais ne prétend aucunement être une pensée POSITIVE de l'invention politique. Héritier en ce sens du conservatisme pascalien, Rosset se révèle absolument inutilisable par quiconque; même par le pouvoir, puisqu'il ne montre l'impossibilité de lui reprocher son arbitraire QU'en montrant dans un même mouvement qu'il ne peut non plus se recommander d'aucune justice. Que l'on aille donc pas tenter de sauver Rosset. Si une politique doit se jouer, en accord avec sa pensée, c'est hors du discours théorique.
RépondreSupprimercf. l'article "Contestation et résignation".
Je crois bien que c'est un des points les plus difficiles et gênants de la pensée de Rosset que sa conception du pouvoir qui, pour sceptique qu'elle soit, n'est aucunement libertaire. Je serais tenté de concilier le réel du pouvoir et la volonté légitime de changement tout simplement en rappelant que Nietzsche, philosophe tragique, n'était pas avare d'ambitions concernant le devenir de la culture européenne... Tragique certes, mais tout de même intéressé à l'idée de créer un réel supérieur (non un double, mais justement créer la position tragique face au réel; car "vouloir libère": vouloir le réel c'est en même temps créer une pensée plus forte et donc neuve). Bref, c'est tout un programme...
Rosset ne s'intéresse pas à la politique au sens où il ne défend pas de positions précises. L'homme a bien entendu ses convictions, mais elles n'entrent pour ainsi dire pas dans sa philosophie. Evidemment, la cndamnation de l'espoir, la vision schopenhaureienne de l'histoire comme futurition contribuent à classer Rosset, en compagnie de Montaigne, parmi les tenants d'un conservatisme éclairé. Mais je pense surtout qu'à l'aune de son oeuvre, Rosset, aussi paradoxal que cette opinion puisse paraître, est avant tout un philosophe "pur" du réel, un ontologue très particulier, qui oppose au discours heidegerrien Etre/etant la philosophie de la tautologie.
RépondreSupprimerVous avez raison, il se dit lui même ontologue du réel dans l'Objet singulier.
RépondreSupprimerPour moi, la plus belle dédicace que l'on pourrait apposer à l'oeuvre de Rosset est une citation issue du Démon de la tautologie : "Sa profondeur à lui, c'est de penser l'évidence" (François Jullien, mais je cite de mémoire). Penser le réel est d'autant plus malaisé que, Heidegger a raison de le rappeler : "Notre relation a ce qui nous est proche est depuis longtemps émoussée et sans vigueur. Car le chemin des choses proches, pour nous autres hommes, est de tout temps le plus long, et pour cette raison le plus difficile" (citation que j'ai recueillie de Rosset et que je me suis empressé de consigner). L'évidence s'oppose au double comme le grand mystère du réel - ce qui est évident est ce qui ne va pas du tout de soi.
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