Le questionnaire est désormais clos. Avant de publier plus de détails, voici un aperçu des résultats.
Aux 140 visiteurs ayant répondu (été jusqu'au bout et consenti) au questionnaire a été attribuée, aléatoirement, l'une des trois versions de l'éternel retour nietzschéen (positive, neutre, négative).
Pour rappel, la question posée était la suivante (trois variations possibles):
Que diriez-vous si un jour, un démon vous trouve et vous propose : "Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l’as vécue jusque ici, tu devras la vivre à nouveau et un nombre infini de fois ; il n’y aura rien de nouveau en elle ; chaque plaisir et chaque peine, chaque pensée et chaque mouvement, tout dans ta vie, du plus petit au plus grand, reviendra identique et dans le même ordre." [=Variation neutre]
[Variation positive] [... quasiment identique (...) Seulement, il est probable que les plaisirs, les joies, les satisfactions soient plus forts et les douleurs, les peines, les frustrations moins fortes.]
[Variation négative] [... quasiment identique (...) Seulement, il est probable que les plaisirs, les joies, les satisfactions soient moins forts et les douleurs, les peines, les frustrations plus fortes].
Accepteriez-vous ?
Les trois échantillons se répartissent ainsi:
- Version positive: 45 réponses, 21 oui (47%), 24 non (53%)
- Version neutre: 35 réponses, 16 oui (46%), 19 non (54%)
- Version négative: 60 réponses, 24 oui (40%), 36 non (60%)
La première remarque est qu'une proportion relativement importante de répondants est favorable à l'expérience de l'éternel retour, bien qu'elle ne soit jamais majoritaire. Cela peut s'expliquer par l'échantillonage puisque seuls les visiteurs de ce blog ont été invités à participer (sans tenir compte des éventuels relais qu'ils ont pu faire autour d'eux) et qu'en bons rossétiens, ils sont disposés à approuver l'existence, même éternellement recommencée.
La deuxième remarque est que les différences entre les trois versions ne sont pas statistiquement significatives, même entre la version positive et la version négative. Le caractère mélioratif, péjoratif ou conservateur de l'éternel retour n'affecterait donc pas la proportion de oui et de non. Cela dit, peut-être aurait-on constaté une différence significative avec un échantillonage plus large. Cette relative homogénéité des réponses s'explique peut-être elle aussi par la nature rossétienne, tragique, des répondants. Néanmoins, il faut souligner que la Version négative implique que les expériences positives tendront à être nulles et les expériences négatives à la fois plus intenses et nombreuses en proportion. Les 24 personnes à avoir dit oui méritent donc bien le titre de tragiques !
Tous les répondants n'ont pas signalé leurs informations personnelles, mais d'après ce que j'ai pu recueillir pour le moment, j'ai tiré quelques indications (provisoires et approximatives) :
- Environ 3/4 des personnes ayant fourni l'information, sont des hommes, 1/4 des femmes
- Moyenne d'âge entre 35 et 45 ans
- Très grande majorité de non croyants (toutes croyances confondues)
- Niveau d'éducation moyen autour de bac+4
Qu'en pensent les visiteurs ?
Et si le fait d'etre favorable, au moment où on me la propose en tout cas, dans un bar, entre potes, à l'expérience de l'éternel retour signifiait, plus qu'une forme d'acceptation de la vie, une simple trouille de la mort? Mieux vaut tout recommencer que mourir. Ca serait pas très Rossétien, si? J'avoue que c'est le truc qui fait que je ne comprends pas vraiment le sens de cette expérience psychologique que Nietzsche a bricolée.
RépondreSupprimerBonne remarque. Il faudrait mettre en place une nouvelle expérience pour tester cela. Mais il me semble que celui qui préfère l'éternel retour à la mort, fût-ce par peur de celle-ci, aime vraiment la vie!
RépondreSupprimerC'est vrai... C'est mon cas, en tout cas. Il y a une phrase du meme Nietzsche que j'adore, qui dit, je crois, "On peut se tuer, mais on ne le fait pas", moi ca me booste ma semaine de me la rappeler. Disons que ce truc de l'eternel retour me fait le meme effet, c'est-a-dire qu'il faut que je le recolle a l'idee que je vais mourir pour qu'il produise sur moi son effet positif, et c'est ce qui m'interesse dans son fonctionnement; parce que l'idee en elle-meme de la vie recommencee infiniment je ne vois pas ce qu'elle veut dire, puisque je sais que c'est impossible (c'est son cote pepere je trouve).
RépondreSupprimerEt si l'on se disait au moment du sondage que, puisqu'il n'y a plus rien à apprendre, alors ça n'est pas utile ?
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûr de comprendre votre commentaire, mais si le retour est parfaitement réplicateur (dans l'hypothèse neutre), alors tout ce qui a été appris le sera encore. Le retour ne comprend pas la pensée qu'il s'agit d'un retour (peut-être êtes-vous déjà en train de vivre l'un des tours du cercle).
RépondreSupprimerCe qu'il y a de saisissant dans ce texte de Nietzsche, c'est la force agissante du questionnement. Ici mis en scène entre 'les mains' d'un démon, ce dernier l'emploie pour instruire l'homme de la possibilité que ce qu'il vit n'est peut-être que l'un des doubles du moment qu'il pense naturellement vivre pour la 1ère fois. (version neutre)
RépondreSupprimerLa question posée par le démon ici n'attend pas nécessairement de réponse, elle affirme la possibilité d'un retour éternel, donnant à penser un monde, un temps, où toute valeur est irrévocable, tout jugement définitif, toute peine éternelle; et donc tout instant la copie possible d'un instant révolu, toute volonté..impossible, etc. Possibilité déroutante car si éloignée de l'intuition que nous avons en permanence.
C'est le sortilège que jette le démon sur celui qui croise son chemin. Un regard sur l'infini, sur l'inhumaine symétrie de l'éternité.
Qui plonge un oeil dans le gouffre.. quelque soit son choix, doit faire face au glissement soudain de sa conscience que le doûte a provoqué. Et ce doûte, par le caractère invérifiable de la proposition, seule la mort pourra l'effacer.
Dans la question, l'information transmise est le poison (mortel) dont le démon insémine celui à qui il s'adresse.
Il me semble qu'ici Nietzsche rapporte ce qu'il peut avoir éprouvé lui-même, une perte momentanée d'une intuition qui habite en permanence la conscience, celle de l'unicité du moment, du caractère linéaire du temps biologique.
C'est donc moins la question que le démon de la question que Nietzsche nous invite à rencontrer ici 'virtuellement'.
En espérant ne pas vous avoir ennuyés en raisonnant tout haut..
Ce qui m'intéresse dans l'alternative proposée, c'est celui qui la propose. On parle ici d'un démon : les réponses auraient-elles été les mêmes si la proposition avait été "un ange vous propose..." ? On ne peut se fier aux démons : ils mentent, ils trichent, ils ne nous aiment pas, alors naturellement, quoi qu'ils proposent, même si l'affiche est alléchante, on n'accroche pas, on jarte.
RépondreSupprimerOn peut aussi lire la question comme une mise en balance de l'instinct de vie et du principe de maîtrise : je veux vivre, mais je veux maîtriser ma vie. Le choix dès lors n'en est pas un. La réponse naturelle au choix proposé devient alors "vivre éternellement sans conscience de mon éternité ne m'intéresse pas plus que ça : au fond, je m'en fous, faites ce que vous voulez...". Les scores finalement assez équilibrés dans les trois scénarios renverraient alors à une forme d'indifférence...
C'est une interprétation pertinente. Quant au démon, on présume qu'on peut lui faire confiance pour que le scénario proposé se produise bien. Mais qu'il puisse vous le proposer est bien démoniaque. Quant à la volonté de maîtrise, vous avez raison, mais n'est-ce pas précisément affirmer une maîtrise absolue que d'accepter de tout revivre tel que vous l'avez vécu? Après tout, cela revient à ne rien remettre en cause. Ce qui vous est arrivé indépendamment de votre "volonté" (à peu près tout) reviendra, mais vous n'aviez de toutes façons aucun contrôle dessus, ce que vous avez contrôlé, s'il se reproduit, vous n'aurez pas moins de contrôle dessus.
RépondreSupprimerSur la première branche de notre échange :
RépondreSupprimerFaire confiance au démon, n'est-ce pas nier son essence démoniaque ? Si un démon me proposait l'alternative, je penserais aussitôt : "je vais revivre, mais le démon va trahir trahir sa parole (= agir en démon) et quel que soit mon choix, chaque vie sera pire que la précédente, et de plus, je me souviendrai très précisément de toutes mes vies précédentes". Le démon m'offrirait une vie vraiment éternelle, mais justement : quelle(s) vie(s) !
Sur la seconde branche, votre réponse me rappelle une belle variante du conte du génie aux trois vœux :
Un génie offre trois vœux à un homme. L'homme formule son premier vœux : "Rends-moi suffisamment sage et intelligent pour que mes deux vœux suivants soient parfaits". Le génie lui dit : "Voilà, c'est fait. Quel est maintenant ton deuxième vœux ?". L'homme lui répond : "Merci, mais je n'ai pas d'autre vœux..."
Je pense que vous marquez en effet un point sur le démon. Le terme est mal peut-être mal choisi. Ceci dit, il constituerait alors un test encore meilleur de la volonté d'affirmation de la vie pour Nietzsche.
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